Portrait

Jean-Jacques Edgar Boukaka dit Boucavel, d’enseignant à politicien engagé pour le Gabon

Jean-Jacques Edgar Boukaka dit Boucavel, d’enseignant à politicien engagé pour le Gabon
Jean-Jacques Edgar Boukaka dit Boucavel, d’enseignant à politicien engagé pour le Gabon © 2020 D.R./Info241

A l’orée du vent des indépendances qui souffle sur les eaux troubles des pays côtiers d’Afrique francophone, des dignes fils de plusieurs pays constituant l’ex empire Français vont inscrire à jamais, dans les recoins les plus enfouis de la mémoire collective, leurs noms sur les « murs dorés du Panthéon de leurs terres respectives ». Jean-Jacques Boukaka dit Boucavel fait partie de cette classe d’hommes, qui œuvra pour la grandeur et le respect de son pays le Gabon et de sa région natale, la Ngounié.

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 Naissance et origine

C’est le 29 février 1923 que vint au monde Jean-Jacques Edgar Boukaka. C’est dans la ville de Kibangou, région située à la frontière sud-ouest du Gabon qui est rattachée de nos jours à la république du Congo et faisant partie du département du Niari, qu’il fut conçu. Autrefois, cette zone géographique était gabonaise et était un district de la province de la Ngounié, exactement localisé dans la ville de Mouila, le chef-lieu de ladite province.

Sa génitrice, mère au foyer, avait pour nom Massinda et son papa, un militaire d’ethnie Punu, s’appelait Moukaga Jérôme. Il était du puissant clan Bujala. Sa mère devint la femme d’un chef autochtone du Niari après le décès de son père. Jean-Jacques Edgar Boukaka était le neveu d’un autre illustre homme de cette partie du Gabon, René-Paul Sousatte qui avait 10 ans de plus que lui. Plus tard, en 1945, devenu lettré et voulant occidentaliser son patronyme, comme il était de coutume à l’époque, il se fera appeler Jean-Jacques Edgar Boucavel au lieu de Boukaka et c’est ce nom qui sera le plus répandu.

 Cursus, postes et fonctions occupées

Sa mère ayant convolé en secondes noces, après la disparition de son géniteur, avec un dignitaire local de la région du Niari située dorénavant dans la république du Congo, le petit Jean-Jacques passera une partie de son enfance en république du Congo. C’est à Brazzaville qu’il fera toutes ses études. Il débute son parcours scolaire en 1933 dans une école primaire de Brazzaville. Il finira par y obtenir son diplôme des écoles primaires supérieures de Brazzaville et celui des cadres supérieurs.

En 1941, il commence à exercer comme enseignant à Brazzaville et devient instituteur de l’enseignement officiel. Puis, il est nommé directeur d’école et responsable de secteur scolaire. Son savoir-faire et sa maîtrise de l’enseignement n’étant plus à démontrer.

Il devient conseiller territorial du Gabon en 1946. En 1947, il occupe le prestigieux poste de grand conseiller de l’Afrique équatoriale française (A.E.F). Ensuite, il est conseiller (délégué) A.E.F à l’assemblée de l’Union française de 1947 à 1953. La même année, Boucavel siège à l’assemblée de l’Union française en remplacement de son oncle Sousatte.

Mais Boucavel aime transmettre le savoir, la pédagogie et lui ne font qu’un. A la suite d’ennuis politiques suite à son engagement militant lors du référendum de 1958 avec son parti le PUNGA, il fut contraint de s’enfuir du Gabon pour trouver refuge ailleurs. A son retour, il reprit peu après sa carrière de fonctionnaire dans l’administration publique gabonaise. Il continua sa carrière administrative et fut nommé attaché d’enseignement et chargé du bureau pédagogique. Il devient par la suite, administrateur civil et remplira tour à tour, les fonctions d’inspecteur adjoint des affaires administratives, directeur adjoint des affaires économiques, secrétaire général à l’information, administrateur suppléant du comité du Gabon à la Banque centrale avant d’occuper la présidence du conseil économique et social en 1964.

 Engagement et aspirations politiques

C’est au sein de la métropole française, Paris, que la décision d’accorder plusieurs droits fondamentaux aux colonies françaises d’Afrique est prise, une sorte de remerciement pour la participation active des « soldats » issus des territoires africains, propriétés de la France, à la Seconde Grande Guerre (1939-1945). Quoi qu’il en soit, les Africains ont dorénavant le droit de se regrouper en association ou de manifester voire de faire grève.

Voulant être un acteur majeur dans le sillon politique et social de sa chère mère patrie le Gabon, il se lance dans la politique et décide de se ranger au côté de Jean-Hilaire Aubame qui était déjà très en vue à l’époque avec une notoriété hallucinante. En 1947, une puissante formation politique voit le jour : l’Union démocratique et sociale gabonaise (UDSG) avec en chef d’orchestre, l’emblématique homme politique gabonais Jean-Hilaire Aubame. Son aura et ses aspirations socio-politiques poussent l’oncle de son poulain Boucavel, René-Paul Sousatte, à le rejoindre. D’autres leaders politiques comme Eugène Amogho ou encore François Méyé adhèrent aussi à l’UDSG.

Le président Léon Mba exerce un autoritarisme très dérangeant pour ses adversaires de l’époque, la quasi-totalité sont membres de l’UDSG. Ce qui favorise la montée d’une campagne de séparatisme traduisant la volonté d’un réel fractionnisme géographique. Il faut souligner que l’UDSG est le parti gabonais d’excellence en ces temps. Sa popularité gênait excessivement sieur Mba.

Le septentrion veut dorénavant faire partie du Cameroun, les responsables politiques de la Ngounié et du Haut-Ogooué veulent que leurs provinces rallient le Moyen-Congo. Mais le calme regagne très vite les rangs de la sphère politique gabonaise après que le gouvernement français ait annoncé l’organisation d’un référendum pour la création d’une communauté française, dans le but de poser les fondements de la Cinquième république.

Après quelques divergences d’orientation et de doctrine politique, Jean-Jacques Boucavel et son oncle René-Paul Sousatte mettent sur pied le 20 août 1958 un nouveau parti politique : le Parti de l’unité du Gabon (PUNGA) qui signifie aussi « tornade » en langue Ghisir.

Nouvellement créé, le parti est fortement implanté dans le sud du Gabon et a pour ligne de conduite, la participation au référendum avec pour vote le « non », estimant que cette nouvelle stratégie politico-constitutionnelle, digne d’une époque coloniale dépassée, ne servira que les intérêts des Français en continuant à assujettir les colonies françaises d’Afrique. Le PUNGA martèle vouloir une indépendance « instantanée » et « véritable ». La décolonisation profonde était là, l’aspiration première des membres de cette formation politique.

Des personnalités politiques et/ou membres du gouvernement de l’époque rejoignent les rangs du PUNGA. Il s’agit entre autres Jean-Félix Lassy, directeur du ministre de la Fonction publique ou encore de Martin Longa, conseiller municipal et partisan du Bloc démocratique gabonais (BDG, ancêtre de l’actuel parti au pouvoir) de Léon Mba et de Paul Gondjout. Par ailleurs, le PUNGA reçoit aussi le soutien de l’organisation estudiantine gabonaise, le Mouvement gabonais d’action populaire (MGAP).

Mais lors du référendum au Gabon, le "oui" l’emporte avec 190 334 voix pour et 15 244 contre. Le nombre d’inscrits s’élève à 265 161 pour 208 600 votants, avec un taux de participation de 78.67%. Bien qu’il ait perdu, le parti remporte quand-même le vote dans les provinces de la Ngounié et de la Nyanga.

 Troubles et retour au calme

Voulant unifier le continent par la mise en place d’une confédération d’Etats africains, le PUNGA met à mal les desseins inavoués des autorités françaises qui tiennent à garder la main mise sur leurs colonies et les richesses qu’elles regorgent. La France accuse farouchement Jean-Jacques Boucavel et René-Paul Sousatte d’être tous les deux, les auteurs de l’éveil de conscience des populations de son territoire gabonais. Ils sont désormais persona non grata et doivent prendre le maquis.

C’est ainsi que Boucavel prendra la poudre d’escampette pour ne pas être mis aux arrêts. Il continue de militer contre la présence française au Gabon et la gouvernance hasardeuse de Léon Mba. Mais son pays lui manque, il décide alors de rentrer au bercail mais en s’assurant ne plus rien risquer. Il contacte alors un ami d’enfance, Pierre Goura, qui était ministre des Finances en république du Congo. Il convainc Félix Houphouët-Boigny de converser avec le président Léon Mba pour que l’intégrité physique de Boucavel ne puisse pas être mise en danger et pour qu’il ne puisse pas se retrouver dans une geôle. Le président Houphouët-Boigny persuada Léon Mba de décolérer en levant le mandat d’arrêt émis contre Boucavel. C’est par ces tractations que Jean-Jacques Boucavel regagne le Gabon mais fut tout de même placé sous résidence surveillée.

Après avoir repris sa carrière administrative peu après, le président Léon Mba le charge de l’instruction des futurs cadres gabonais à l’instar de Jean François Ntoutoume Emane ou encore de Rose Francine Rogombé. Comme souligné plus haut, c’est en 1964 qu’il deviendra président du Conseil économique et social du Gabon. Poste qu’il occupera jusqu’en 1980. Il sera nommé représentant personnel du fantomatique Premier ministre de l’époque, Léon Mebiame jusqu’en 1990, avant de faire valoir ses droits à la retraite après la chute dudit Léon Mebiame lors des assises de la conférence nationale.

 Mort, héritage et distinctions

Après 78 années passées sur terre, Jean-Jacques Edgar Boukaka dit Boucavel rejoint ses ancêtres dans l’au-delà le 5 novembre 2001 à Libreville, dans son domicile sis au quartier Montagne Sainte face à l’ancien siège de la station de radio Urban FM. Sa dépouille fut inhumée à Mouila. Il laissera 11 enfants orphelins. Il légua comme héritage au peuple gabonais, l’hymne patriotique « Gabon Patrie Chérie » qui est très souvent entonnée par les fanfares des forces armées gabonaises lors de la fête nationale du 17-Août ou d’autres cérémonies officielles. Il laisse aussi plusieurs écrits mais qui n’ont jamais été publiés.

En signe d’immortalisation de la mémoire de ce digne fils du sud du Gabon, le plus grand établissement secondaire de la ville de Mouila, capitale provinciale de la Ngounié, porte son nom. Il s’agit du lycée public Jean-Jacques Boucavel. Aussi, il est l’éponyme d’une salle au palais du Sénat de Libreville.

Il a été chevalier Grand-Croix de l’Ordre du mérite de la république italienne, commandeur du Mérite centrafricain et officier de l’Ordre de l’étoile équatoriale. Il a reçu la médaille du Nicham el Anouar et celle de la Rédemption du Libéria.

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