L’essayiste et universitaire, Marc Mvé Bekale, revient dans les lignes qui vont suivre sur les récents propos à charge, tenus par le ministre des Sports Alain-Claude Bilie-By-Nzé insinuant un manque de valeurs patriotiques chez les Panthères du Gabon. Des attaques à peine voilée contre l’attaquant international Pierre-Emerick Aubameyang. Des insinuations qui n’ont pas laissé de marbre Marc Mvé Bekale. Analyse.
Le 14 octobre, l’équipe nationale du Gabon devait s’envoler pour le Sud-Soudan dans le cadre du match retour des éliminatoires de la CAN 2019. Menés par leur capitaine Pierre-Emerick Aubameyang, les joueurs ont refusé de prendre l’avion pour des raisons de confort et de sécurité : l’appareil bas de gamme, affrété pour ce voyage, disposait d’une capacité d’accueil incompatible avec l’effectif qui devait y embarquer.
A en croire quelques experts de l’aviation interrogés, les conditions du vol n’optimisaient pas la forme physique des joueurs et mettaient leur vie en danger. Le principe de précaution était donc de mise, lorsqu’on pense à la catastrophe aérienne qui avait décimé en 1993 la talentueuse équipe de Zambie au large des côtes de Libreville.
Un autre avion a été affrété dans l’urgence. Ce seul fait ne pouvait non plus rassurer car, dans la précipitation, il n’y avait aucune garantie que ce nouvel appareil répondait à toutes les normes de sécurité. L’on comprend alors la réticence d’Aubameyang à voyager dans des circonstances aussi incertaines.
En réalité, l’incident du 14 octobre apparaît assez révélateur de l’échelle à laquelle est placée la vie humaine au Gabon. Il traduit un mépris notoire qui a incontestablement choqué Pierre-Emerick Aubameyang. Fort du sens de la valeur et du respect de sa personne, il n’a pas pu surmonter l’humiliation d’être métonymiquement réduit à un objet bas de gamme.
Le mépris des dirigeants gabonais à l’égard de l’élite vivant à l’étranger fait penser à une anecdote rapportée par l’astrophysicien malien Cheick Modibo Diarra dans son autobiographie, Navigateur interplanétaire. L’extraordinaire aventure d’un enfant du Mali parti à la conquête de Mars (2000).
A l’occasion d’une conférence internationale, Cheick Modibo Diarra se rend à Bamako en compagnie d’autres scientifiques. Chercheur de renom en poste à la NASA et traité comme une rock star à travers le monde, Cheick Modibo Diarra livre ce témoigne édifiant un jour où il se trouvait en mission dans son pays natal : « En arrivant à l’aéroport de Bamako, une Mercedes avec chauffeur attendait chaque participant. Ayant déposé mes bagages à l’hôtel, après une rapide douche, je demandai au chauffeur de me conduire chez Bel Hadj, l’ami de mon père. Durant le trajet, je bavardai avec lui, expliquant que j’avais grandi ici et fait mes études au lycée technique. Le lendemain, plus de Mercedes. La voiture qui m’attend devant la porte de l’hôtel est une 504, un tas de ferraille qui doit remonter à vingt ans ! Les belles voitures sont réservées aux étrangers, les gens du pays doivent se contenter de vieux tacots. Je mentionne cette anecdote afin de dénoncer la politique que suivent les dirigeants africains à l’égard de leurs cadres, qu’ils découragent par des mesquineries de cet ordre ; je suis persuadé qu’ils rabaissent leurs compatriotes délibérément. On honore l’étranger, on l’invite, on l’écoute, on tient compte de ses avis, on paie cher ses conseils ; mais on dénigre les siens, et beaucoup choisissent de s’expatrier. L’Afrique souffre de l’hémorragie de son élite, et ses dirigeants ne font rien pour la stopper » (pp. 234-235).
Affréter un aéronef low-cost pour le transport d’une élite sportive renvoie au type de mesquinerie que stigmatise le scientifique malien. Ces mesquineries peuvent se révéler fatales. Tel apparaît, en creux, le message adressé par Aubameyang au gouvernement gabonais.
Sourd à ce message, Alain-Claude Bilie-By-Nzé, ministre de la Jeunesse et des Sports, a convoqué les médias gabonais afin d’instruire le procès de Pierre-Emerick Aubameyang, accusé de trahison aux valeurs de la nation. Pointant à mots couverts l’arrogance de la star internationale, Bilie-By-Nzé s’est lancé dans une tirade sur les valeurs morales quand la réaction d’Aubameyang constitue précisément un appel au respect, en toutes circonstances, de la valeur suprême : la vie humaine.
Pareil discours ne peut être entendu dans un pays où l’on a fait de la violation des droits humains le principal canon de gouvernance. C’est cela même que PEA a rejeté. Il a réagi en homme libre, conscient de la sacralité de sa personne qu’il ne saurait sacrifier au nom d’un pseudo-patriotisme. Il s’est servi de son statut de star de football international comme levier pour affirmer son agency (sujet libre) et s’opposer au diktat des dirigeants gabonais. Diktat perceptible dans ce propos de Bilie-By-Nzé : « L’équipe nationale est la propriété de l’Etat ». Le recours à pareil champs lexical interpelle. Il est significatif de l’état d’esprit d’une caste qui considère l’Etat comme son bien. Là aussi, l’acte d’Aubameyang exprime le refus de chosification à laquelle toute dictature réduit la population.
Alain-Claude Bilie-By-Nzé, au service d’un pouvoir acquis par la fraude électorale et la violence, n’a aucune autorité morale pour instruire un procès à un jeune homme qui s’est hissé au sommet du sport mondial par son talent, sa discipline, son travail et ses efforts. Né en France d’un couple mixte, Aubameyang n’a aucune dette envers le Gabon, si ce n’est le choix qu’il a fait de jouer pour le pays de son père. S’il l’avait voulu, il aurait pu intégrer sans la moindre difficulté l’équipe de France. Il aurait gagné en notoriété, synonyme d’optimisation financière de son image. En choisissant le Gabon, il a fait preuve d’abnégation, parce qu’un tel choix n’est guère rentable.
Pierre-Emerick Aubameyang est une véritable valeur ajoutée pour le Gabon. De Rio de Janeiro à Berlin, plus d’un amateur de football peut situer le Gabon sur la carte du monde, parce qu’il associe ce petit pays au nom d’Aubameyang. C’est une immense fierté de prendre le métro londonien et de voir une affiche vantant les aptitudes sportives de cet intrépide attaquant gabonais, incarnation de l’agilité et la vitesse d’une panthère, aux côtés des légendes telles que Lebron James, Usain Bolt ou Cristiano Ronaldo à qui leur pays ne pensera guère à faire voyager dans un coucou bas de gamme.
Si Pierre-Emerick Aubameyang peut être un formidable atout de marketing pour le tourisme gabonais et la promotion des valeurs sportives, tel n’est pas le cas d’Alain-Claude Bilie-By-Nzé dont on peine à identifier le talent ou le domaine d’expertise. Cet homme qui a fait de l’allégeance servile une stratégie politique. Sans le pouvoir de Bongo père et fils, il serait probablement un fonctionnaire anonyme au sein de l’administration gabonaise.
Après sa carrière politique, il disparaîtra sans laisser la moindre trace au patrimoine national. Personne ne se souviendra de lui quand le parcours international de Pierre-Emerick Aubameyang restera gravé dans les mémoires, s’inscrira dans le récit national gabonais et sera toujours une source d’émulation et d’inspiration pour nombre de jeunes Africains. Aubameyang n’a point besoin de faire l’apologie du patriotisme. Contrairement à Bilie-By-Nzé qui passe pour un chantre des valeurs patriotiques, Aubameyang lui incarne l’éthique de la réussite. Son acte de rébellion apparaît alors salvateur et salutaire. Il est rejet du nihilisme d’Etat.
Si les joueurs gabonais avaient été des patriotes, ils ne se seraient pas abaissés à aller lire des discours pleutres devant le roi Ali Bongo comme ils l’ont fait après la débâcle de la CAN 2017. Au contraire, ils devraient protester contre le viol du drapeau national par des imposteurs qui se sont imposés à la tête du pays par la violence. Ils pourraient prendre exemple sur les joueurs de football américains. Lesquels boycottent l’hymne américain pour dénoncer le racisme envers les Noirs et pour réaffirmer les valeurs inscrites dans la constitution de leur pays. De tout temps, les sportifs ont fait preuve de militantisme en luttant contre la violence d’Etat.
Marc Mvé Bekale, Maître de conférences (Université de Reims) et essayiste
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