La bourse dans l’enseignement secondaire, la bombe sociale de ce début d’année 2024
Dans cette analyse pour les lecteurs d’Info241, le citoyen gabonais Yvan-Cédric Nzé revient sur la polémique autour des nouvelles modalités d’attribution de la bourse décidées par le gouvernement de la transition. Il appelle à tirer les leçons de ce « faux pas » du président de la transition, qui pourrait bien mettre le feu aux poudres dans le milieu éducatif gabonais. Lecture.
D’entrée, nous souhaitons présenter nos vœux les meilleurs à l’ensemble de nos lecteurs et lectrices. Ceci étant dit, rentrons dans le vif du sujet. De la même manière que la nouvelle de remettre en place la bourse dans les établissements secondaires avait été accueillie avec beaucoup de joie, la décision de modifier les critères d’attribution de cette bourse a créé un véritable tohu-bohu sur les réseaux sociaux et les différents forums WhatsApp du pays, même l’affaire Boupendza (sic) n’a réussi à détourner l’attention des uns et des autres.
Aux sources du problème
Lorsque le Président de la transition a fait son annonce, en toute objectivité du retour de la bourse au secondaire, on peut convenir du fait qu’il ne connaissait ni l’état des finances publiques ni le coût d’une telle mesure pour les finances publiques. L’exercice du pouvoir l’a certainement poussé à revoir sa copie, puisque bien avant l’annonce de la ministre des Finances, on pouvait noter que seulement 12 milliards étaient inscrits dans la loi des finances 2024 pour cette dépense. Tout calcul fait, on constate que cela correspond à 125 000 élèves pour les 4 trimestres, et 125 000, c’est bien en deçà des apprenants qui pourraient obtenir 10/20 et bénéficier des 24 000.
Plaidoyer pro-gouvernemental
Personne ne peut nier que Brice Clotaire Oligui Nguema a hérité d’un pays sinistré, en lambeaux, et presque en état de faillite. L’objectif premier de ses frères d’armes était de restaurer les institutions. Cependant, avec l’appétit venant en mangeant, il est possible que certaines annonces aient été faites à la hâte. En toute lucidité, la question se pose : les milliards qui pourraient être distribués aux élèves étaient-ils réellement une priorité pour le secteur de l’éducation au Gabon ? Actuellement, nous faisons face à un déficit d’environ 4000 salles de classe et à un manque d’environ 1500 enseignants, sans oublier l’absence d’une carte scolaire adaptée. Tous ces défis nécessitent une résolution rapide, mais cela implique des coûts. Cela permet de comprendre la volonté de ne pas dilapider les finances publiques dans une mesure qui pourrait être perçue comme une simple source de motivation pour les apprenants.
Il est important de rappeler qu’Ali Bongo avait décidé de supprimer cette mesure sans susciter la levée de boucliers actuelle de la part de la population. Il est également nécessaire de souligner la vérité selon laquelle la bourse de l’enseignement supérieur et celle du secondaire ne jouent pas du tout le même rôle. Ceux qui ressortent les tweets de Mays Mouissi et de Laurence Ndong en 2019 pour défendre la bourse dans l’enseignement supérieur font preuve de confusion ou d’une mauvaise foi visant à nuire aux intéressés.
Il faut admettre que les manquements dans le domaine de l’éducation sont nombreux, et le gouvernement a un besoin urgent d’argent pour les résorber. Ainsi, dépenser environ 20 milliards, selon nos estimations, dans une bourse qui ne contribue pas vraiment au bien-être des apprenants n’est pas une mesure conforme aux règles de l’orthodoxie financière. Pour la plupart, les apprenants vivent chez leurs parents, et les 24 000 ne sont qu’un bonus. Néanmoins, il est crucial de ne pas oublier la petite minorité dont les parents vivent en zones rurales et pour qui cette bourse pourrait constituer une véritable bouffée d’air.
Pour mémoire, le Gabon est le pays d’Afrique subsaharienne qui consacre le moins de ressources au développement de son système éducatif (2,7 %) du PIB, pour une moyenne de 3,8 % du PIB des pays d’Afrique francophone.
« La politique, c’est savoir à qui on prend du fric pour le donner à qui. » - Abbé Pierre
Si chaque Gabonais doit comprendre la nécessité de se serrer la ceinture, l’exemple doit provenir du sommet et de l’organisation de l’État. Si Oligui Nguema a renoncé au mirobolant salaire d’Ali Bongo et que le salaire des parlementaires (désormais sans attaché parlementaire) a été réduit, qu’en est-il de la haute administration ? Quel signal a été donné pour démontrer cette volonté d’utiliser l’argent de l’État avec parcimonie ? Nous observons toujours des responsables pléthoriques avec des avantages innombrables. En période de transition, était-il nécessaire d’avoir deux chambres du parlement ? Le Conseil Économique, Social et Environnemental est-il réellement utile ? Le CND ? Le Médiateur de la République ? Nous devons à la vérité de dire les choses clairement : le Gabonais moyen a toujours l’impression que lorsque l’on parle de faire des efforts, cela ne concerne jamais l’élite qui scolarise ses enfants à Blaise Pascal ou au Ruban Vert, qui passe ses vacances à Paris, New York, Dubaï, et vit dans un luxe ostentatoire. Il est urgent que ceux qui dirigent montrent l’exemple et participent à l’effort de redressement du pays. Quand est-ce que tous ceux qui se sont largement enrichis aux dépens du pays vont s’investir dans la nation et rendre aux Gabonais une partie de l’argent qu’ils ont soustrait à l’État et qu’ils ont eu largement le temps de faire fructifier ?
Ah ! s’écria-t-elle. C’est une trahison de m’avoir fait croire les choses avec de faibles preuves. Vous ne me jugiez donc pas digne de croire sur de bonnes raisons ? De Fontenelle (dictée par M. Gaston Ntchayi Mbourou en début de cours d’optique géométrique MPC1)
La citation de Fontenelle est explicite : donner des explications autres et légères parce qu’on juge les gens indignes de croire sur de bonnes raisons est une trahison. Pire, cette pratique a souvent le mérite de brouiller la communication. Les gens ressentent bien lorsque l’on tente de les tromper. Quel était l’intérêt d’habiller une mesure visant à mieux réorienter les finances publiques sous l’idée d’une recherche d’excellence chez les apprenants ? C’est inadmissible, car la grande majorité des enfants apprennent dans des conditions honteuses. Comment peut-on exiger l’excellence de la part d’enfants qui étudient dans des conditions médiocres, voire minables ? Peut-on mettre au même niveau les enfants du Prytanée militaire et ceux apprenant au Lycée Georges Mabignath ? Madame la ministre de l’éducation a failli en justifiant le relèvement des critères d’attribution par une recherche de l’excellence. Il est impératif de cesser de prendre les gens de haut. Les Gabonais méritent d’être bien gouvernés mais aussi respectés. La ministre de l’éducation a manqué une occasion de faire preuve de transparence. Plus grave encore, l’annonce du retour de la bourse a été faite à la rentrée. On ne peut pas, à la fin du premier trimestre, modifier les règles alors que les enfants s’étaient déjà projetés avec leur argent durement gagné, même pour ceux qui n’ont obtenu que 10/20.
Les leçons de ce raté…
Dans plusieurs établissements de l’hinterland, des mouvements d’humeur ont été initiés par les enfants pour réclamer leurs dus. J’espère que ces mouvements ne seront pas réprimés par la violence et que la situation ne dégénérera pas. Il est crucial que chacun contribue à ramener la sérénité, car le danger de ces mouvements d’humeur réside dans la tentation autoritaire pour le Général Brice Clotaire Oligui Nguema. Ce faux pas, s’il doit être ainsi qualifié, offre l’opportunité de tirer enseignement :
• Ne rien annoncer qui n’ait été budgété et planifié
• Qui embrasse trop, mal étreint
• Mentir brouille la communication, la transparence est un gage de confiance et de respect
• Les efforts doivent être pour tous et surtout de ceux qui ont plus.
La suite…
Les finances réduites de l’État doivent être l’occasion de réfléchir et de modifier certaines choses. Aujourd’hui, est-ce que toutes les familles gabonaises ont réellement besoin d’une bourse pour scolariser leurs enfants ? Ce faux pas pourrait être l’occasion de réfléchir à l’instauration de bourses sur critères sociaux, sans bien évidemment négliger les critères de mérite.
Je ne saurais conclure sans évoquer la question des internats. Ces lieux de vie pourraient constituer un grand soulagement pour de nombreux enfants à qui l’on demande l’excellence, mais qui n’ont pas toujours trois repas par jour, qui parfois doivent parcourir d’énormes distances pour arriver en classe, et qui parfois n’ont pas la lumière nécessaire pour étudier.
“On ne donne pas ce qu’on possède, on ne possède que ce qu’on est capable de donner ; sinon, on est possédé.” – l’Abbé Pierre
Yvan-Cédric NZE
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