Indépendance

Colonisation : L’inexorable marche du Gabon vers sa souveraineté internationale

Colonisation : L’inexorable marche du Gabon vers sa souveraineté internationale
Le Premier ministre gabonais Léon Mba et le Premier ministre français Michel Debré (D) signent un accord entre la France et le Gabon à Paris, le 15 juillet 1960 © 2021 D.R./Info241

A l’occasion du 61e anniversaire de l’Indépendance du Gabon célébrée ce 17 août 2021, la rédaction d’Info241 vous invite à redécouvrir quelque grands traits de cet aboutissement fondateur de notre Nation. Ce, au travers d’une série d’articles inédits de notre rubrique Fragments d’histoire qui prend langue habituellement, chaque lundi matin, avec l’histoire du Gabon et de ses acteurs héroïques. Ce premier article s’intéresse à l’itinéraire emprunté par le Gabon vers la souveraineté internationale, elle-même obtenue sans heurt de l’ancienne puissance coloniale française.

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Au terme des années 1940, le processus de décolonisation du continent asiatique est presque à sa fin. Sur le continent africain, cette réalité est encore une chimère bien que désirée par le plus grand nombre. En effet dans l’Afrique maghrébine, des mouvements de contestation préoccupent l’empire français car des nationalistes des territoires français nordafricains comme le Maroc, la Tunisie ou encore l’Algérie émettent le souhait de pouvoir disposer d’eux-mêmes. Les deux premiers cités optent pour une voie pacifique entretenue par une plaidoirie constante adressée à la communauté internationale, les algériens eux prennent la résolution d’obtenir leur indépendance au prix du sang et des canons.

En Afrique noire en général et dans l’Afrique équatoriale française (AEF) en particulier, la situation est bien plus apaisée car les élites politiques de l’époque formulent elles-aussi de telles aspirations de souveraineté mais en laissant la France penser, organiser et structurer à leur place le processus de décolonisation, bien qu’il y ait aussi une once de nationalisme dans quelques-unes de ses régions.

L’un des premiers faits majeurs de l’accession des pays d’Afrique noire au droit de « disposer d’eux-mêmes » est leurs participations militaires actives aux côtés de « Marianne » lors des deux Guerres Mondiales. Mais l’on peut affirmer, à tort ou à raison, que la genèse du processus de décolonisation en AEF prend tout son sens bien avant l’année 1945 précisément lors de la Conférence de Brazzaville du 30 janvier 1944. Le Gabon, colonie française d’Afrique en ces temps, s’inscrit dans cette démarche.

 Au commencement

Alors que la Seconde Grande Guerre se poursuit, un évènement retentissant a lieu dans la ville de Brazzaville alors capitale de l’AEF. Il s’agit de la première conférence franco-africaine et de surcroît souhaitée de tous ses vœux par la général Charles De Gaulle, président du Comité français de la libération nationale (CFLN). Devant se tenir du 30 janvier au 8 février 1944, celle-ci a pour but de redéfinir l’avenir des colonies françaises d’Afrique. C’est le gouverneur général à Brazzaville, Félix Eboué, qui est chargé de l’organisation. Débarquent alors à Brazzaville, les différents gouverneurs de l’Afrique française, le commissaire aux colonies René Pleven et le président du CFLN, Charles De Gaulle.

Il faut souligner que durant cette période, les troupes militaires africaines étaient engagées dans le combat de libération de la France, rangées du côté des Alliés qui tentaient de contenir la redoutable armée allemande, principal bras armé du « Nazisme ». De plus, les pertes en vie humaine dans les rangs africains furent importantes. Le devenir des colonies africaines françaises devient alors un problème majeur pour De Gaulle même s’il n’est pas soumis aux mêmes pressions selon les régions du continent.

Mais l’heure n’est pas pour De Gaulle à l’octroi d’une indépendance ou d’une certaine autonomie, seul changement important : il prévoit leur conférer un droit électoral qui leur permettra de choisir des représentants qui siègeront au parlement français (l’assemblée nationale et le sénat). Lors de son discours d’ouverture, on peut déceler une volonté tacite de De Gaulle d’établir une marche structurée vers l’indépendance des dépendances françaises « Mais en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires ».

Vous seriez d’avis que « Toute liberté gagnée avec l’assistance d’une tierce personne doit aussi être la réalité dans laquelle celle-ci vit  ». Les autorités françaises voulurent donc s’assurer que leurs colonies puissent correctement s’émanciper politiquement afin de pouvoir s’assurer elles-mêmes quand la gestion de leurs biens leur sera confiée car ne dit-on pas que la politique est l’organisation ou l’autogestion de la cité.

 Les retombées de la Grande Guerre de 1945

Bien que De Gaulle ne fit qu’entrevoir la possibilité d’une indépendance des colonies africaines d’outre-mer, celui-ci souhaitait ardemment que l’empire français préserve ses trésors de « guerre » africains notamment le Gabon ou encore le Congo Brazzaville. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne s’empressa pas ou mieux qu’il ne prit pas le risque de clarifier dans le temps et dans l’espace, l’évolution politique de ses chères dépendances « Au demeurant, il appartient à la nation française et il n’appartient qu’à elle, de procéder, le moment venu, aux réformes impériales de structure qu’elle décidera dans sa souveraineté. Mais en attendant, il faut vivre, et vivre chaque jour c’est entamer l’avenir  ».

Par ailleurs durant la guerre, l’Afrique est un acteur prépondérant dans les différentes victoires des Alliés contre l’armée allemande mais aussi lors de la libération de la France envahie par les nazis. C’est d’ailleurs en Afrique que les troupes chargées de gagner puis de libérer Paris prennent leur départ. Un an après avoir la 2ème Guerre Mondiale notamment en 1946, un référendum constitutionnel est organisé. Le « oui » l’emporte et une nouvelle constitution voit le jour, ce qui donne naissance à la 4ème République française.

La nouvelle constitution définissant les contours de la 4ème République française octroi une nouvelle identité aux colonies française d’Afrique : celles-ci deviennent des territoires français d’outre-mer à part entière dont la vie politique se traduit par le droit de vote et la création de formations politiques, prémices pour beaucoup d’un destin sans lendemain vers l’indépendance. C’est ainsi que naît l’Union française qui est composée de la France dans son entièreté, c’est-à-dire de la métropole, des départements d’outre-mer et de ses anciennes colonies devenues sous la 4ème république, des territoires français. On assista alors au Gabon à l’avènement de partis politiques.

Certes l’administration coloniale de l’époque était réfractaire à cela en dépit des dispositions et textes de la nouvelle constitution mais grâce à l’abnégation de responsables indigènes et d’associations ou groupes de défense d’intérêts humains et civiques, cette opération politique devint une réalité d’autant plus avec la participation du Groupe d’études communiste qui apprit aux gabonais qui le voulaient, les rouages et les arcanes de la politique moderne via la diffusion des documents politiques. Le premier parti politique enregistré officiellement fut le Comité mixte gabonais (CMG) en date du 12 août 1946 avec pour fondateur Léon Mba Minko, un instruit fang originaire de Libreville, ex employé de l’administration coloniale qui vient de sortir de prison après une remise de peine ; cette formation politique est d’ailleurs plus perçue comme un mouvement que comme un parti politique n’ayant que deux sections sur l’ensemble du territoire gabonais notamment dans les villes de Libreville et de Medouneu.

En 1947, un autre instruit fang, Jean-Hilaire Aubame, membre de la communauté élitiste gabonaise fonde l’Union démocratique et sociale gabonaise (USDG). Puis, c’est au tour de Paul-Marie Indjendjet Gondjout de créer sa formation politique qui a pour nom le Parti démocratique africain (PDA), d’autres affirmant que son parti avait pour nom le Parti démocratique gabonais (PDG) ; en 1953, les partis de Paul Gondjout et de Léon Mba fusionnent pour donner naissance au Bloc Démocratique Gabonais (BDG).

Plusieurs autres petites formations politiques naîtront à l’instar de l’Union Travail Progrès ou encore de l’Entente-Défense des intérêts gabonais mais la dernière en date avant l’année 1960 reste le Parti de l’unité gabonaise (PUNGA) créé le 20 août 1958, un parti nationaliste et régionaliste composé de Jean-Jacques Boucavel, de René-Paul Sousatte, de Jean-Félix Lassy et bien d’autres. C’est ainsi que depuis 1946, le Gabon prit par part aux différentes échéances électorales territoriales, lesquelles envoyèrent quelques-uns de ses fils siéger à l’assemblée nationale ou encore au sénat français à l’instar de Jean-Hilaire Aubame, Mathurin Anghiley ou encore Paul-Marie Indjendjet Gondjout.

Ce sont ces derniers qui comme beaucoup d’autres représentants des peuples africains siégeant au parlement français prirent à-bras-le corps le très populaire problème d’indépendance des territoires d’outre-mer, défendant les intérêts de leurs patries et du continent où ils furent conçus. D’autres parlementaires français soutinrent cette cause ! Le moment tant attendu tendait à s’approcher.

 Le déclic

Bien ancrées dans le jeu politique des années 1950, les élites gabonaises expriment désormais clairement leur désir d’accéder à la souveraineté internationale. De plus, les autorités françaises désirent s’arrimer à l’évolution du monde et des aspirations des peuples. Il faut dire que plusieurs mouvements de contestations nationalistes ternissent l’image de la France qui mate toute forme de résistance à l’image de la violente répression malgache entre mars et mai 1947 qui fera entre 80000 et 100000 milles morts.

En juin 1956, la loi-cadre Gaston Deferre est adoptée et promulguée. Elle attribue aux colonies africaines, hormis l’Algérie, une autonomie interne sous la houlette de responsables politiques composant le pouvoir exécutif local devant des assemblées législatives. C’est en effet à l’initiative de Gaston Deferre, ministre français d’outre-mer et de Félix Houphouët-Boigny, maire d’Abidjan, que cette loi sera avalisée. Mais cette loi fut taxée par beaucoup d’acteurs politiques africains comme un solide mécanisme politique donnant lieu à une classe élitiste africaine servile, fervente défenseure des intérêts de Paris.

Mais pour les concepteurs de la loi-cadre, elle avait pour objectif de mettre en place des dispositifs légaux afin de favoriser l’évolution des territoires français d’outre-mer. Comme l’un des buts premiers de la loi-cadre était de créer une communauté française, un nouveau référendum constitutionnel est alors convoqué pour faire voter une nouvelle constitution, synonyme de l’évolution de la pensée coloniale à l’égard de ses propriétés africaines.

C’est en cela que le président du conseil des ministres français, un certain Charles de Gaulle, entame une tournée africaine du 20 au 27 août 1958. A Brazzaville, De Gaulle prononce un discours bien plus précis et plus limpide que celui de 1944 sur l’octroi de l’indépendance aux territoires français d’Afrique « Il est naturel et légitime que les africains accèdent à ce degré politique où ils auront la responsabilité entière de leurs affaires intérieures, où leur appartiendra d’en décider eux-mêmes ».

En parlant de la création d’une communauté française soumise au référendum où le vote de tous comptera « Cette communauté-là, je vais la proposer à tous et à toutes ensemble, où qu’ils soient. On dit : nous avons droit à l’indépendance. Mais certainement oui. D’ailleurs, l’indépendance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitôt. La métropole ne s’y opposera pas. Un territoire déterminé pourra la prendre aussitôt s’il vote ‘non’ au référendum du 28 septembre ».

Au moment du vote référendaire, le « oui » l’emporta une fois de plus et la nouvelle constitution fut adoptée, sauf en Guinée qui proclama son indépendance dès le 2 octobre 1958. De facto, le Gabon, désormais ancien territoire français, déclara son statut d’Etat associé dans la communauté française. Organisée politiquement autours d’une assemblée territoriale, celle-ci deviendra plus tard l’assemblée nationale. En effet, c’est à partir de 1952 que le Gabon se dota d’une assemblée territoriale à la suite des élections locales qui eurent lieu la même année en lieu et place du « Conseil Représentatif ». Ce n’est qu’en 1960 après son accession à l’indépendance que le Gabon enregistra sa première législature.

 Derniers réglages

Ce n’est qu’en date du 19 février 1959 que la première constitution gabonaise fut adoptée par l’assemblée législative. Trois mois plus tard, la même assemblée donne mandat au premier ministre alors chef du conseil du gouvernement, Léon Mba, d’amorcer les négociations avec les autorités françaises relatives à l’accession du pays à la souveraineté internationale.

Rendez-vous fut pris à Paris en juillet 1960. André-Gustave Anguilé (secrétaire général de l’assemblée législative), Paul-Marie Indjendjet Gondjout (président de l’assemblée législative), Eugène Amogho (ministre de l’enseignement, de la jeunesse et des sports), les princes traditionnels Birinda de Boudiéguy des Echiras et Félix Adande Rapotchombo composent la délégation qui se rend à Paris avec le président du Conseil du Gouvernement gabonais ; d’autres personnalités politiques du BDG telles que N’Nah Bie, Jean-Félix Mba ou encore Jean Aveno Davin furent du voyage.

Les premiers ministres Michel Debré et Léon Mba ratifient les « Accords » à Paris. Pour le nouveau chef du gouvernement français « Le Gabon est conscient des exigences de la civilisation moderne. L’indépendance du Gabon est désormais acquise. Ses rapports avec la France ne seront plus constitutionnels, mais contractuels. ». Tout y est résumé. La délégation gabonaise regagne Libreville le 22 juillet. Le lendemain, le parlement gabonais, convoque une session extraordinaire au cours de laquelle seront validés unanimement les « Accords » signés à Paris.

S’en suivront les choix des différents attributs et des symboles de la République gabonaise. Le 16 août 1960, les documents fixant les termes du transfert des compétences de la communauté à la République gabonaise sont signés. Le 17 août à minuit, le Gabon devient un état souverain et est maintenant identifié comme étant « la République Gabonaise ».

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