Patrimoine éducatif et épistémologique : L’héritage des missionnaires américains de la CMA au Gabon
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Dans cette tribune pour Info241, le Révérend Clément Leyinda met en lumière l’apport des missionnaires américains de la Christian and missionary alliance (CMA) à l’édification du patrimoine épistémologique du Gabon. À travers l’implantation d’écoles et la promotion de l’enseignement dans les langues locales, ces missionnaires ont contribué à l’essor intellectuel du pays, notamment par la création de l’alphabet Yinzébi en 1937 et la formation des premières élites gabonaises. Cet héritage, initié dès 1933 avec l’Église de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon, continue d’influencer le développement éducatif et culturel du pays. Lecture.
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Un proverbe wanzi dit : « wavira matsui, fuulu nzoka ! wavira miisu, fuulu linzandi » Si tu n’as pas d’oreilles, demande à l’éléphant ! Si tu n’as pas d’yeux, demande au galago . Pour ainsi dire que face à l’ignorance, il est judicieux d’interroger ceux qui possèdent la science.
Dans cette tribune, j’entends par patrimoine épistémologique , l’ensemble des savoirs accumulés et validées au fil du temps, notamment ceux en lien avec l’héritage intellectuel et scientifique légué par les missionnaires ayant exercé leur sacerdoce au Gabon. Pour circonscrire davantage mon champ d’investigation, je m’intéresse ici, aux missionnaires américains de la Christian and Missonary Alliance (C.M.A de l’Afrique Equatoriale Française), qui ont implanté l’Eglise Evangélique du Sud Gabon (1933), connue sous l’appellation de l’Eglise de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon depuis le 19 juillet 1998.
Au nombre des contributions intellectuelles de ces frères venus d’outre-mer pour évangéliser le sud du Gabon, il y a l’élaboration de l’alphabet ynzébi ou nzébi c’est selon !
Fig.1 : Alphabet Yinzebi, 1937 (Donald Fairley)
En juillet 1937, le Révérend Donald Fairley a marqué un tournant dans l’éducation linguistique au Gabon avec la publication de "YISHANGA SHI ACOMI MU YINZEBI", un manuel d’écriture dédié à la langue Yinzébi. Imprimé aux États-Unis, ce document présente un alphabet composé de vingt-quatre lettres, notablement dépourvu des lettres Q et X, tandis que la lettre Z est remplacée par le phonème NZ. Ce manuel constitue un précieux vestige de l’engagement de l’Alliance Chrétienne dans l’essor intellectuel du pays.
Parallèlement à cette initiative, Fairley a également publié une brochure intitulée "MAMBU MA NZEMBI AYAGALA GULI MUNTU WA FULA NDE", qui est la traduction d’un ouvrage anglais, "God’s Answers to the Soul’s Questions About Salvation", ou en français, "Les Réponses de Dieu aux Questions de l’Âme au Sujet du Salut". Ces contributions témoignent de l’infatigable dévouement de Fairley et de son rôle clé dans la promotion de l’éducation et de la spiritualité au Gabon.
Fig.2 : Brochure en langue Ynzébi, 1937 (Donald Fairley)
Ainsi, les jalons de la formation des gabonais étaient posés et c’est précisément sur ces bases que les premières écoles d’instruction en langues maternelles (Ynzébi, Ipunu, Issangu, Ghétsogo) sont nées. Cette affirmation est corroborée par le témoignage de Feu Révérend Jérémie Bakoukou, un des premiers élèves de l’école missionnaire en langues maternelles. Il donne son témoignage dans une interview réalisée le 22 septembre 2008 au Centre de Formation Théologique de l’Alliance Chrétienne, à Owendo, sur l’ouverture des premières écoles de l’Eglise de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon.
« Lorsque la CMA est arrivée au Gabon, ils ont importé le système d’enseignement du Congo belge. Au Congo belge, on enseignait les langues locales. Lorsqu’ils sont arrivés, ils ont ouvert les écoles même dans les villages où se trouvaient les catéchistes. Ils ont imprimé l’alphabet en langues locales et les enseignements se faisaient en langues. Moi aussi, j’ai appris dans cette école. On nous apprenait à écrire et à lire dans nos propres langues. Et cette manière de faire poussait à lire la parole de Dieu dans nos propres langues, à lire dans nos propres langues, à prêcher dans nos propres langues. On avait des livres en langues dans lesquels on apprenait à lire et à faire des calculs [1] . »
Le témoignage de cet illustre fils de l’Alliance Chrétienne, leader très influent, nous apprend que grâce à l’action missionnaire, les écoles étaient implantées jusque dans les villages, et chaque gabonais apprenait à lire et à calculer dans sa propre langue !
Plus tard, en 1949, la CMA ouvre l’Ecole Biblique Centrale de Bongolo pour la formation des Évangélistes et des Pasteurs. Vers les années 1950, les premiers pasteurs instruits formulent le vœu d’ouvrir une école en langue française pour leurs enfants et les enfants d’autres ouvriers de la mission. C’est dans cette perspective que le couple helvétique nommé WENDLING arrive pour ouvrir la première école de langue française le 10 octobre 1953 à Bongolo. Le premier collège verra le jour, en septembre 1963.
Au regard de ce qui précède, il est impératif de reconnaître, à la lumière de l’histoire, que l’Église de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon, fondée en 1933, se positionne comme un acteur historique incontournable. Aux côtés d’autres missions, telles que la Baraka Mission en 1842 et la Mission Catholique en 1844, elle a joué un rôle déterminant dans la formation de la Nation gabonaise. En effet, à l’aube des Indépendances, cette Église a contribué à l’émergence des premières élites intellectuelles, essentielles au développement et à l’essor du Gabon.
En somme, l’Eglise de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon a joué un rôle fondamental dans l’émergence d’un patrimoine épistémologique au Gabon. À travers l’implantation d’écoles et la promotion de l’enseignement dans les langues locales, elle a non seulement contribué à l’éducation des Gabonais, mais a également permis la formation des premières élites intellectuelles du pays. Les efforts des missionnaires, tels que le Révérend Donald Fairley, ont jeté les bases d’un système éducatif qui valorise les langues et cultures locales, tout en répondant aux besoins d’une population en quête de savoir. Ainsi, l’héritage laissé par cette mission est indéniable et continue d’influencer le développement intellectuel et culturel du Gabon.
Révérend Clément LEYINDA,CertMed, CertArb
Master en Gestion Administrative
Doctorant en Leadership transformationnel
(Université de l’Alliance Chrétienne d’Abidjan, Bakke Graduate University (BGU), Dallas Texas, Jesus College, Maryland)
[1] Révérend BAKUKU-BA-MOUIDY (1937-2013) fut le troisième pasteur Président de l’Eglise de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon. Il exerça son sacerdoce présidentiel de 1975 à 1997. Il fut un témoin oculaire de la naissance de l’œuvre scolaire jusqu’à son épanouissement.
@info241.com
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