Présidentielle gabonaise : la « candidature unique de l’opposition » est une escroquerie !
Dans cette tribune libre signée du journaliste et écrivain Jocksy Andrew Ondo-Louemba, l’auteur revient sur la hantise liée à la candidature unique de l’opposition gabonaise comme voie royale pour en finir avec les 55 ans de pouvoir sans partage de la famille Bongo. Pour l’auteur, ce postulat est faux au mieux une escroquerie. Il nous dit pourquoi. Lecture.
Cette année, cela fera trente ans que l’on autorise à nouveau plusieurs personnes à se porter candidat à l’élection présidentielle au Gabon. Depuis 1993, une idée revient : si l’alternance n’a jamais eu lieu au Gabon, c’est parce que l’opposition gabonaise n’a jamais présenté de candidat unique face à Omar puis Ali Bongo. Cette idée est fausse.
L’idée est née dans un cabinet de conseil parisien il y a trente ans et réapparaît tous les 5 ou 7 ans en fonction des changements de Constitution très fréquents au Gabon : la candidature unique de l’opposition gabonaise dont l’absence justifie le maintien au pouvoir d’Omar Bongo depuis la fin du parti unique en 1990 puis l’arrivée au pouvoir de son fils Ali Bongo en 2009 après la mort d’un Omar Bongo qui aura régné sans partage sur le pays.
Partagée par les médias des plus sérieux
Cette absence de « candidature unique de l’opposition » gabonaise est partagée depuis trente ans par les médias qu’ils soient proches du pouvoir, à sa solde ou considérés comme très sérieux est de retour. De très sérieux journalistes et autres « spécialistes de l’Afrique » expliquent - comme d’autres avant eux - que s’il n’y a pas encore eu d’alternance au Gabon, c’est parce que l’opposition n’a pas su s’unir pour désigner un candidat unique pour battre Bongo père et fils.
Mieux, on prévoit – sinon on justifie – qu’Ali Bongo « remportera » l’élection à venir non pas parce que les électeurs gabonais se seraient dans leur majorité décidés de voter pour lui, mais parce que « l’opposition gabonaise » n’aura pas su présenter un challenger susceptible de le battre. Cette idée, bien que séduisante, ne tient pas et n’a jamais tenu à l’épreuve des faits.
Bongo père et fils toujours battus
Depuis la fin du parti unique au Gabon (où Omar Bongo était candidat unique et « naturel » à chaque élection présidentielle : 1973, 1979, 1986) il y a toujours eu plus de 10 candidats aux élections présidentielles au Gabon ce qui n’a jamais empêché la défaite dans les urnes du président sortant.
Le coup d’état électoral de 1993
En 1993, Omar Bongo est battu dans les urnes. La fraude est évidente, puisque les voix de la capitale Libreville et de la province de l’Estuaire, soit plus de la moitié des électeurs, ne sont pas décomptés lorsque Bongo est déclaré vainqueur par le ministre de l’Intérieur Antoine Mboumbou Miyakou avec 51% des voix. La courageuse Pauline Nyngone, la gouverneure de l’Estuaire, chargée du décompte et de la proclamation dans sa province conteste les chiffres lunaires du ministère de l’Intérieur. La gouverneure explique à la presse que le décompte des voix de la province de l’Estuaire n’est pas terminé mais qu’importe ! La Cour constitutionnelle déclare Omar Bongo vainqueur sans terminer le comptage des voix dans la province de l’Estuaire ou de réorganiser le vote dans cette partie du Gabon où il y a tout de même plus de la moitié des électeurs…
« Paul tu as gagné »
Des années après, Marcel Eloi Rahandi Chambrier, ministre, proche d’Omar Bongo, fera cette déclaration publique, « C’est moi qui ai dit à Mboumbou [le ministre de l’Intérieur du Gabon en 1993], va tu dis Bongo a gagné ».Le vainqueur dans les urnes, Paul Mba Abessole opposant politique qui deviendra maire de Libreville et plus tard ministre d’Omar Bongo raconte à Alain Foka journaliste de RFI dans une émission consacrée à Omar Bongo, une confidence qu’Omar Bongo lui a faite sur les élections présidentielles de 1993 au Gabon : « Le président Bongo m’a dit : Paul tu as gagné les élections, mais tu n’es pas encore prêt à diriger le Gabon, tu dois attendre »…
1998, 2005, la fraude encore…
En 1998 et 2005, il y a des élections présidentielles au Gabon et là aussi plusieurs candidats, mais face à Omar Bongo un homme émerge : Pierre Mamboundou, maire de Ndendé, une petite ville dans le sud du Gabon et député de la Dola. Malgré une couverture médiatique très favorable (une journaliste dira par exemple « Omar Bongo a été déclaré élu avec 66% des voix, on se demande s’il y aura un deuxième tour »), des preuves de la fraude et de la défaite d’Omar Bongo face à Pierre Mamboundou sont présentées…
En 2005, rebelote, Bongo est battu – y compris dans les casernes, l’armée ayant voté à part cette année-là – son challenger Pierre Mamboundou revendique encore la victoire. Opposant efficace, il démontre même que la présidente de la cour constitutionnelle, l’inamovible Marie Madeleine Mborantsuo est elle-même…en porte-à-faux avec la Constitution du Gabon puisqu’elle en était à son troisième mandat en violation de l’article 84 de ladite Constitution !
Le cas de 2009
Le seul moment où l’on peut déplorer que l’opposition gabonaise n’ait pas su parler d’une même voix, c’était lors de l’élection présidentielle anticipée de 2009, mais c’était après le vote ! En effet, à l’issue du vote, trois personnes ont revendiqué avoir remporté l’élection : Ali Bongo, André Mba Obame et Pierre Mamboundou. Si plus tard plusieurs sources très sérieuses ont désigné André Mba Obame comme le vainqueur de cette élection, c’était la première fois qu’une telle confusion avait lieu. Et à ce jour bien malin celui qui pourrait dire avec certitude qui a gagné l’élection présidentielle de 2009…
2016, la très nette défaite d’Ali Bongo
En août 2016, nouvelle élection présidentielle, plusieurs candidats en lice (14 au total). Face à Ali Bongo au pouvoir depuis 2009, Jean Ping, ancien membre du sérail, ancien président de la Commission de l’Union Africaine. À l’issue du vote, Jean Ping bat Ali Bongo, mais n’arrive pas au pouvoir. Comme en 1993, 2005 et 2009 une violente et sanglante répression s’abat sur le pays.
La cour constitutionnelle déclare Ali Bongo vainqueur dans une capitale sous contrôle de l’armée qui a réprimé la tricherie dans le sang…
En attendant le drame suivant
Si tout est en place pour le drame suivant au Gabon et si Ali Bongo va encore se maintenir au pouvoir très certainement jusqu’à sa mort, ce n’est pas parce qu’il y a une opposition (bien malin celui qui pourrait la définir et la circonscrire d’ailleurs !) désunie face à lui, mais plutôt parce qu’Ali Bongo – comme son père - a dans sa main toutes les institutions, mais surtout toute son armée avec lui.
Une armée qui a juré selon un de ses chants de défendre Ali Bongo « jusqu’au bout du sacrifice suprême » en faisant encore une fois couler le sang des civils désarmés car assurée d’agir en toute impunité.
*Jocksy Andrew Ondo-Louemba, auteur de Something is wrong (2015) et de Mauvaises nouvelles chroniques du Gabon (2020).
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