Portrait

Yves-Henry Evouna, l’un des pionniers politiques du Woleu-Ntem

Yves-Henry Evouna, l’un des pionniers politiques du Woleu-Ntem
Yves-Henry Evouna, l’un des pionniers politiques du Woleu-Ntem © 2022 D.R./Info241

L’hinterland gabonais a bien eu du mal à se frayer un chemin dans l’émancipation de ses évolués mais aussi dans le référencement urbain local aux antipodes de Libreville, la capitale du territoire et bien entendu Port-Gentil, capitale forestière de la période précoloniale. Longtemps inexplorée par les missions et les explorations occidentales, le Woleu-Ntem fut l’une des dernières à être organiser selon la pensée coloniale avec l’établissement de stations puis d’une administration assez structurée du moins, en accord avec ce temps-là.

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Reconnue comme frondeuse en raison des nombreuses insurrections des peuples vivant dans cette partie nord du Gabon allergiques au colonat, le Woleu-Ntem s’est bel et bien distingué sur la scène intérieure au lendemain du Second Conflit planétaire notamment sur le plan politique. Ladite circonscription s’était déjà faite remarquer dans la pédagogie et le sacerdoce religieux à résonnance catholique et protestante.

Durant les premières élections locales ayant eu lieu suite à la réorganisation constitutionnelle et administrative de la République française de 1946, des natifs du « septentrion » surent tirer profit de la chance qui leur avait été donnée. L’un de ses dignes fils avait pour patronyme Yves-Henry Evouna (1920-1976). Cet Ekang en provenance des terres nordiques entourées par l’immense forêt équatoriale de par son intellect et par l’amour pour sa nation, comptera parmi les premiers grands bâtisseurs, originaire des fleuves « Woleu » et « Ntem », de la future République gabonaise.

 Naissance

La naissance de Yves-Henry Evouna se déroula aux environs des années 1920 en Afrique équatoriale française (AEF) dans le Gabon français au sein de sa circonscription régionale du « Woleu-Ntem ». Yves-Henry Evouna appartient à la communauté Fang dont le clan est « Odzip ». Né au village « Mbenga », il est l’ascendant de Ekome Adza, un charismatique chef du village dudit village qui s’opposa à la dictature coloniale de l’administration française suite aux dérives autoritaires de l’administrateur de la région du « Woleu-Ntem » à cette époque, le tristement célèbre Georges Thomann.

 Cursus et office professionnel

Yves-Henry Evouna a été formé dans les missions catholiques. Il était très admiratif de la profession ecclésiastique et entretenait l’ambition d’être dans un futur proche, un membre du clergé catholique gabonais. Assidu et bénéficiant d’un esprit disposé, c’est sans ambages que le jeune Yves-Henry réussit à obtenir son Certificat d’études primaires indigènes (CEPI), un haut combien précieux sésame en ces temps. Destiné au sacerdoce par les spiritains qui étaient chargés de son enseignement, notre protagoniste donna brusquement une nouvelle direction à sa vie : il souhaitait dorénavant être un pédagogue pour participer significativement à l’éducation des jeunes de sa contrée, gage d’un accroissement d’hommes compétents cognitivement à présider au destin du pays, une fois sa souveraineté retrouvée. Yves-Henry Evouna décide donc de suivre des cours spécifiques et complémentaires. Il finira par obtenir son diplôme de moniteur avec la mention « Autoriser à enseigner ».

Son parchemin de moniteur en poche, Yves-Henry Evouna offre ses services au sein des établissements privés catholiques. Il officie notamment dans la région Nord du Gabon français dans la zone de Ndjolé et surtout à Oyem. Instituteur des cours élémentaires, c’est aux enseignants comme Yves-Henry Evouna que l’on doit le niveau intellectuel des gabonais de ces instants de l’histoire dont les compétences étaient avérées et les bases académiques solidement ancrées dans le ciboulot. Rappelons que les instituteurs de ces années-là possédaient des connaissances considérables qui se faisait remarquer aussi bien dans leur expression que dans leur pédagogie, dotés d’une calligraphie à faire pâlir plus d’un. L’avidité qu’ils avaient pour l’information, la lecture et la recherche démontrait à suffisance le niveau d’élévation da la pensée critique qu’ils développaient.

 Carrière d’élu local

Dès 1946, le Gabon vivra désormais au rythme des joutes politiques et associatives. Plusieurs organisations voient le jour aussi bien les partis politiques que les syndicats. C’est l’avènement de l’Union française, née de la Constitution de la 4ème république recyclant le modèle d’administration de la Métropole envers ses anciennes colonies. Celles-ci deviennent dorénavant des territoires français et bénéficient désormais des droits civiques. Le Code ou Statut de l’indigénat est aussi abolit suite à une loi promulguée le 7 avril 1946, lui qui était en vigueur depuis 1910 en AEF.

Il avait d’abord été établi en 1881 en Algérie et en Cochinchine, en 1887 au Sénégal et en Nouvelle-Calédonie et en 1904 à l’ensemble des pays de l’Afrique occidentale française (AOF). Une institution locale, le « Conseil ou Assemblée représentative » est mise sur pied et des élections sont organisées comme suit : le 15 décembre 1946 aura lieu le premier tour du scrutin et le 12 janvier 1947, le second tour.

Yves-Henry Evouna, moniteur de l’enseignement catholique, est élu pour un mandat de 5ans à la nouvelle assemblée représentative, tout comme Jean-Marc Ekoh Ngyéma. Jean-Hilaire Aubame Eyéghé, lui, remporte, l’élection législative partielle du 10 novembre 1946 permettant au Gabonais de choisir le député qu’ils enverront siéger au palais de Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, sis dans la capitale métropolitaine française. En effet, il existe de réelles similitudes entre ces trois élus. Premièrement, ils font partie tous les trois de la communauté « Fang » et ont pour fief électoral le Woleu-Ntem.

Même s’il est vrai que Jean-Hilaire Aubame est bien lui natif de l’Estuaire du Gabon français. De plus, ils partagent les mêmes idéologies politiques et les deux premiers cités sont militant et sympathisant pour le compte de l’Union démocratique et sociale gabonaise (UDSG) dont le fondateur n’est autre que sieur Jean-Hilaire Aubame. C’est sous la bannière de l’UDSG qu’ils militeront tout au long des années 1950.

En 1947, Yves-Henry Evouna siègera au sein du Grand conseil représentatif de l’AEF basé à Brazzaville jusqu’en 1952 avec un autre de ses compatriotes, Paul-Marie Indjendjet Gonjout, qui fut lui aussi élu conseiller représentatif pour le compte de la région de l’Ogooué-Maritime. En 1952, un nouveau scrutin se déroula le 30 mars non plus pour déterminer les nouveaux conseillers représentatifs, mais cette fois-ci pour désigner des conseiller territoriaux suite à la « modernisation » des institution locales africaines.

Le Conseil ou Assemblée représentative laissait maintenant place au Conseil ou Assemblée territoriale. Yves-Henry Evouna se présenta sous la bannière d’une nouvelle entité politique de « Défense des intérêts régionaux et nationaux (DIRN) » en dépit du fait qu’il soit très proche de l’UDSG. Ce fut presqu’une logique commune pour la quasi-totalité des candidats, de se présenter sous l’étiquette de formations politiques que l’on pourrait qualifier de « circonstance ».

Après délibération, Evouna récolta 6076 voix et fut élu à nouveau conseiller territorial durant 5 ans représentant toujours la région du Woleu-Ntem. Au bout de cette « législature », une troisième confrontation politique eut lieu dans le pays dans le but d’élire les nouveaux locataires de l’Assemblée territoriale. Le 1er tour fut fixé au 31 mars 1957 et le second, le 5 mai. Cette fois, les principaux candidats se présentèrent sous les couleurs de leurs partis respectifs à savoir le Bloc démocratique gabonais (BDG) de Paul-Marie Indjendjet Gondjout et de Léon Mba ainsi que l’UDSG.

D’autres formations tels que « Entente-Défense des intérêts gabonais (E-DIG) » ou encore « Union, travail, progrès (UTP) » de démarquèrent lors de cette échéance. Résultats des courses : l’UDSG dont faisait Yves-Henry Evouna, tête de liste de la région du Woleu-Ntem remporta l’élection avec 14 conseillers sur un total de 40. 8 conseillers furent élus pour le compte du BDG, 8 conseillers pour l’E-DIG et 4 conseillers pour l’UTP. Aussi, lors du référendum constitutionnel de 1958, Yves-Henry Evouna a milité au sein de l’UDSG pour faire voter le « oui » dans sa région natale en vue de la création de la « Communauté française » marquant la naissance de la 5ème République de France.

 Carrière ministérielle

A la surprise générale et bien que l’UDSG soit le grand favori pour prendre la tête du Conseil de gouvernement, Léon Gabriel Mba Minko, par voie de recours, demande un recomptage des voix et rallie par des moyens peu académiques, plusieurs élus territoriaux à sa cause. Au grand dam des partisans de l’UDSG, le BDG sort finalement vainqueur d’une échéance qu’il avait initialement perdue. Le nouveau décompte permet au BDG d’obtenir 21 députés contre 19 pour l’UDSG.

Ne bénéficiant que d’une très faible majorité, les deux blocs sont emmenés à former un gouvernement d’union. Au sein de celui, Yves-Henry Evouna, 37 ans, bénéficiera du portefeuille ministériel du Plan dans le premier gouvernement gabonais nommé le 21 mai 1957. Après l’entrée en vigueur de la 1ère Constitution du Gabon, un nouveau gouvernement est mis sur pied précisément le 19 février 1959. Sieur Evouna se voit confier le ministère de la Santé publique, de la Population et des Affaires sociales. Il occupera cette fonction jusqu’au 9 novembre 1960.

Par ailleurs, à la suite d’un insatiable désir de pouvoir, Léon Mba, vice-président du Conseil de Gouvernement et maire de Libreville, dissout l’Assemblée nationale en novembre 1960 et de nouvelles élections sont convoquées pour le 12 février 1961. Lors du scrutin, le BDG et l’UDSG remporte la totalité des sièges, les deux leaders de partis s’étant rapprochée au nom de l’union nationale. Léon Mba est élu président le même jour. Dans le gouvernement de cohabitation de février 1961, Yves-Henry Evouna est une nouvelle fois nommé ministre. Il le restera jusqu’en janvier 1964. Après le coup d’Etat de février 1964, l’emprisonnement de Jean-Hilaire Aubame et l’inhibition de l’UDSG, Yves-Henry Evouna se retira peu à peu de la politique.

 Disparition

L’année 1976 enregistre le décès de Yves-Henry Evouna à l’âge de 56 ans. Pour sauvegarder sa mémoire, une salle du palais du Sénat, haute chambre du Parlement gabonais, porte son nom.

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